13 minutes 30 s.
Le choix de la rédaction :
VAKITA est fier d'être partenaire du journaliste d'investigation Ian Urbina, directeur de The Outlaw Ocean Project, une organisation de journalisme à but non lucratif qui enquête sur les crimes environnementaux et des droits de l'homme en mer.
Il y a quelques mois, Ian Urbina nous a choisi VAKITA pour diffuser en France sa série événement "La Jungle des Océans", une plongée dans les eaux troubles des eaux internationales où se croisent pêche illégale, mercenaires et défenseurs acharnés de l'environnement.
Aujourd'hui, nous avons l'honneur de diffuser sa nouvelle investigation sur les ravages de la pêche chinoise dans les océans. Au cours des dernières décennies, l'empire du Milieu s'est imposé comme une superpuissance mondiale des produits de la mer. Une transformation qui a un coût environnemental et humain terrible : pillage de ressources halieutiques, travail forcé, mort à bord des navires-usines...
Ce documentaire, diffusé gratuitement par VAKITA, s'accompagne d'un article fouillé et minutieux, signé par Ian Urbina, pour approfondir le sujet.
Le 29 octobre 2023, Joshua Farinella, un américain de 45 ans, s'est envolé vers Amalapuram, une ville proche de la côte orientale de l'Inde, pour assumer ses nouvelles fonctions de directeur général d'une usine de transformation de crevettes. Farinella, voix douce, crâne rasé, barbe proprement taillée, les bras recouverts de tatouages, était très excité à l'idée d'aller vivre pour la première fois à l'étranger.
Il savait bien qu'il s'agissait d'un poste qui impliquerait beaucoup de stress et que Christa, sa femme, allait lui manquer. Mais il avait négocié un salaire de 300 000 dollars à l'année, soit plus du double de ce qu'il gagnerait dans une autre société de transformation de fruits de mer aux États-Unis. D'ailleurs, il aimait plaisanter à ce sujet en disant qu'il était désormais le pêcheur de crevettes le mieux payé, sans qu'il soit propriétaire de sa propre entreprise. Il se disait que s'il tenait le coup pendant deux ou trois ans, il n'aurait plus à se soucier de rien : il se réjouissait à l'idée de moderniser son camping-car, de rembourser son crédit-auto et de mettre un peu d'argent de côté pour les études universitaires de sa belle-fille.
Entourée par un mur en béton de deux mètres de haut, l'usine se trouvait à environ 10 km au nord-est d'Amalapuram. Tout autour : des rizières et des cocotiers. Des gardiens de sécurité patrouillaient le périmètre, ce qui n'était pas rare pour ce genre d'installations. À l'intérieur se trouvait un complexe de 3,2 hectares où des crevettes, élevées dans des bassins situés à proximité, étaient étêtées, décortiquées, traitées avec des produits chimiques, ce qui permettait de les garder humides avant qu'elles ne soient expédiées à l'étranger. Rien qu'en 2023, l'usine, louée par une société appelée Choice Canning, a rempli les rayons surgelés des magasins tels que Walmart, Price Chopper, ShopRite et Hannaford, avec un peu plus de 8600 tonnes de paquets de crevettes.
Lorsqu'il est arrivé au travail, Farinella a été frappé par le nombre d'ouvriers qui affluaient par l'entrée principale. Ça lui faisait penser au terminal d'un aéroport, même si on avait l'impression qu'il y avait plus de personnes qui arrivaient que de personnes qui repartaient. Les jours suivants, il a commencé à réaliser combien de travail était nécessaire pour transformer les crevettes dans les quantités qui étaient exigées par la maison mère - un quota de 40 containers à expédier, soit plus de 600 tonnes chaque mois. Tous les jours, sans exception, plus de 650 ouvriers travaillaient à l'usine, généralement embauchés par des tiers sous-traitants.
Des centaines d'ouvriers vivaient dans la région de l'Andhra Pradesh et ils rentraient chez eux en fin de journée. Les autres étaient des ouvriers immigrés qui vivaient dans l'usine et constituaient le pilier de cette opération. L'usine fonctionnait jour et nuit, dans une course contre la montre contre la chaleur qui menaçait constamment d'altérer les produits. Les ouvriers immigrés étaient majoritairement des femmes, la plupart exclusivement recrutées dans les régions pauvres du pays, comme le Bengale Occidental. La plupart appartenait à la caste sociale la plus basse et étaient illettrées. Elles dormaient sur site dans des lits en métal superposés installés dans des dortoirs spartiates. Un gardien de sécurité était en général posté à l'extérieur, près de la porte principale du bâtiment.
Le 11 novembre 2023, à 3 heures du matin, Farinella a été réveillé dans son apartement, situé à quelques minutes de route de l'usine. Un responsable lui avait envoyé un message WhatsApp, pour l'informer qu'à 2h30 du matin, une femme a été retrouvée en train de courir près des installations de traitements des eaux de l'usine. "Elle cherchait un moyen pour s'évader", a écrit le responsable sur un ton neutre. "Son sous-traitant ne l'autorise pas à rentrer chez elle". (Plus tard, un autre responsable expliquera dans une conversation enregistrée que les ouvriers avaient l'habitude de s'échapper par le mur en béton mais que celui-ci avait été réparé de telle façon que plus personne ne pouvait sortir). La femme est parvenue à se rendre jusqu'à la porte principale, mais elle a été reconduite par les gardiens.
Interdire aux ouvriers de partir de leurs usines quand ils le souhaitent constitue une violation de la constitution indienne mais probablement aussi du code pénal du pays, selon le Laboratoire de Responsabilité des Entreprises (Corporate Accountability Lab), une association de défense et groupe de recherche. Dans une conversation enregistrée, un responsable avait expliqué à Farinella que certains employés de l'usine étaient autorisés à sortir deux fois par semaine pour faire leurs courses au supermarché. Farinella s'était dit qu'il n'y aurait pas dû y avoir de raison de faire une tentative de fuite au beau milieu de la nuit. En arrivant à l'usine quelques heures plus tard, il tenta d'obtenir des réponses pour comprendre ce qu’il s'était passé. Un responsable des ressources humaines lui a répondu qu'il s'agissait d'un malentendu. La femme n'avait finalement pas voulu s'enfuir. Mais une sonnette d'alarme a commencé à retentir dans l'esprit de Farinella.
Farinella travaillait dans le secteur de l'industrie alimentaire depuis 2015. Choice Canning fabriquait des repas surgelés dans sa ville natale, et l'avait embauché en 2015. En tant qu'agent d'assurance de la qualité, il était chargé de veiller au respect des règles de sécurité alimentaire. Il a ensuite travaillé pour Lund's Fisheries, une autre société de transformation des produits de mer, pour laquelle il vérifiait si la chaîne d'approvisionnement respectait la réglementation en vigueur. Puis en 2023, il est retourné travailler dans son ancienne entreprise. Il était habitué aux lacunes de comptabilité et aux failles dans les audits. Mais ce cas-là lui semblait bien plus grave. Farinella, qui a été éduqué par un vétéran de la guerre du Vietnam et une employée de la sécurité sociale dans une ancienne ville minière de Pennsylvanie, n'avait pas toujours filé droit dans sa jeunesse. Il avait vécu dans la rue pendant quelque temps et avait accumulé les condamnations pour conduite en état d'ivresse et tentative d'encaissement de chèques en bois. Depuis cette époque, il avait pris ses distances avec sa famille puis a cessé de parler à ses parents car ils désapprouvaient son mariage avec une femme noire.
Dans l'usine en Inde, il s'est retrouvé à dissimuler la surpopulation d'ouvriers sur le site en élaborant des stratagèmes pour cacher des ouvriers lorsque des inspecteurs venaient à se présenter. Il s'est mis à tromper les clients sur l'origine et la qualité des crevettes, y compris sur leur statut de certification ou l'origine de la ferme où elles avaient été élevées. Il a même raconté qu'il avait reçu l'ordre d'envoyer des crevettes avariées en Amérique. Il a ajouté que les directeurs qui travaillaient pour Choice Canning pouvaient se montrer désespérément évasifs. Mais parfois aussi, ils pouvaient être étonnamment honnêtes. Il a pu enregistrer en secret ses activités avec eux, a fait des captures d'écran et saisi des milliers de pages de documents.
"Pendant des années, je me suis battu à distance contre ça", a-t-il déclaré, se référant à l'époque où il avait travaillé dans la sécurité alimentaire et l'assurance qualité. "Puis, je me suis retrouvé au beau milieu de cette histoire. Pas seulement au beau milieu de tout ça, mais mon job consistait littéralement à faire en sorte que toutes ces choses pourries continuent à se produire".
En moyenne, les Américains mangent environ près de 3 kilos de crevettes par an, une quantité qui a doublé en une génération. En 2001, les crustacés, qui étaient alors considérés comme un met fin, coûtaient environ 11 euros pour 500 grammes, au moment où les prix moyens avaient atteint leur paroxysme. Depuis, les restaurants et les supermarchés ont commencé à se ravitailler à l'étranger et ont fait plonger les prix. Aujourd'hui, certains restaurants spécialisés en crustacés proposent des offres de "crevettes à volonté" pour 23 euros.
En 2015, les coûts cachés des crevettes bon marché ont été révélés au grand jour. Des reporters ont découvert que des immigrés birmans étaient victimes de la traite d'êtres humains. La plupart était des femmes, détenues dans des conditions proches de l'esclavage dans des hangars de décorticage de crevettes en Thaïlande, un pays qui pendant ces 10 dernières années fut le fournisseur préféré des grands supermarchés occidentaux. Certaines de ces sociétés d'alimentation ont coupé les liens avec la Thaïlande et les importations de Thaïlande se sont mises à chuter.
L'Inde a comblé le vide grâce à l'aide de son gouvernement, qui a fourni des aides et assoupli les lois limitant les investissements étrangers. En 2021, l'Inde exportait dans le monde pour plus de 4,5 milliards d’euros de crevettes, et représentait près d'un quart des exportations mondiales de crevettes. Environ une crevette sur trois consommée par des Américains était originaire d'Inde.
Choice Canning est l'un des fournisseurs indiens les plus importants du marché de la crevette. Il possède des bureaux dans deux grandes villes indiennes, Kochi et Chennai ainsi que dans la ville de New Jersey City, N.J. En 2023, Choice Canning a expédié pour plus de 74 millions d’euros de crevettes vers les États-Unis.
En novembre 2022, la société a annoncé qu'elle serait la première entreprise indienne à devenir membre de l'Alliance mondiale pour les produits de la mer (Global Seafood Alliance - GSA), un organisme du secteur qui encourage les pratiques responsables en matière de production des produits de la mer. Choice Canning a cherché à obtenir des certifications émis par l'instrument de contrôle de l'Alliance, la norme de certification des meilleures pratiques d'aquaculture (Best Aquaculture Practices - BAP), qui certifie chaque étape de la ligne de production des fournisseurs des produits de la mer. Le site d'Amalapuram porte le sceau de l'approbation BAP. Choice Canning a déclaré que les fermes d'élevage de crevettes qu'ils utilisent le portent également. Sur présentation de notre enquête, l'Alliance mondiale pour les produits de la mer a déclaré qu'elle prenait l'affaire très au sérieux et qu'elle allait mener des recherches pour voir si elle trouvait des preuves d'infractions.
Farinella s'est dit très troublé lorsqu'il a constaté que les tests effectués par l'usine pour détecter la présence d'antibiotiques se révélaient plus souvent positifs que ce qu'il avait cru. Aux USA, l'Agence américaine des Aliments et des Médicaments (Food and Drugs Administration - FDA) a interdit l'utilisation des produits pharmaceutiques dans les crevettes. La FDA n'a pas répondu à nos demandes d'interview.
La plupart des crevettes produites en Inde sont élevées dans des petites fermes d'aquaculture. Le Laboratoire sur la Responsabilité des Entreprises (Corporate Accountability Lab), une association de défense, a publié dans un rapport ce mois-ci que de nombreuses fermes utilisaient des antibiotiques pour protéger les crevettes des agents pathogènes.
« Si presque tout ce que nous emballons est conforme à la certification BAP et que les fermes où elles sont élevées le sont aussi, alors comment se fait-il que des antibiotiques continuent d'être détectés ? », a écrit Farinella dans un message WhatsApp adressé à un haut responsable de l'assurance qualité de la société.
Le haut responsable chargé de l'assurance de la qualité a répondu « Nous n'achetons jamais des crevettes provenant de fermes certifiées BAP ». « Toutes sont des fermes d'élevage locales et non certifiées ». Sur le ton de la plaisanterie, le responsable a dit à Farinella « Vous imaginez un peu le niveau de compétences bureaucratiques exigées pour faire croire le contraire », tout en ajoutant un smiley.
Farinella a demandé depuis combien de temps cela se pratiquait. "Ce fut toujours le cas", a écrit le responsable. "L'Inde ne possède même pas 10% de la capacité d'élevage certifiée BAP qu'elle revendique. C'est triste, mais c'est la réalité !".
Le rapport du Laboratoire sur la Responsabilité des Entreprises (Corporate Accountability Lab) lui donne raison quant à l'ampleur du problème. Le rapport explique que l'industrie de la crevette en Inde est en proie à des violations en termes de droits humains, de l'environnement et de la sécurité, y compris les cas de travail forcé et que les audits sur les bonnes pratiques de l'aquaculture (BAP) et ceux réalisés par d'autres organisations similaires comportent des lacunes.
Choice Canning a engagé la société SGS (Société générale de surveillance) pour mener à bien des audits quotidiens en interne afin de mieux contrôler les conditions d'hygiène. Ces audits ont souvent fait état de problèmes sanitaires tels que l'odeur de pourriture, les mouches, la bave, la boue, le manque de glace, les réfrigérateurs cassés, les machines contaminées par des algues et des champignons, les poils et les tâches noires sur les crevettes ainsi qu'une cuillère pleine de tabac à chiquer retrouvée sur le sol de l'usine. Chaque année, les auditeurs de la même société SGS ont réalisé un audit public dans lequel l'usine avait obtenu un certificat sanitaire vierge (SGS a déclaré qu'ils ne pouvaient pas partager les résultats de leurs audits pour des raisons de confidentialité mais qu'ils ont été menés à bien sur la base des conditions négociées avec leur client). "Expédiez-les", disait le message WhatsApp.
C'était étonnant même pour les standards auxquels Farinella s'était habitués à Amalapuram. Son patron Jacob José, le vice-président des ventes et de l'approvisionnement de la société et Jose Thomas, le fils du PDG, alias JT, venaient juste d'être informés que 225 caisses de crevettes crues destinées aux supermarchés Aldi Sud aux États-Unis avaient été testées positives aux antibiotiques.
L'utilisation généralisée des antibiotiques dans l'agriculture provoque dans le monde entier une augmentation de la résistance aux médicaments nécessaires pour traiter toutes sortes d'infections. En 2019, les Centres pour le Contrôle et la Prévention des Maladies (Centers for Disease Control and Prevention), une agence fédérale américaine, ont affirmé que près de trois millions d'infections résistantes aux antibiotiques ont lieu chaque année aux États-Unis, provoquant la mort de dizaines de milliers de personnes.
Alors que la FDA interdit l'importation des crevettes traitées aux antibiotiques, l'agence inspecte seulement environ 1% des crevettes importées. En comparaison, l'Union Européenne contrôle 50% de ses crevettes importées d'Inde. D'après les chercheurs, les chances sont donc faibles qu'un lot de crevettes contaminées provenant de Choice Canning ou d'autres sociétés soit stoppé. Une feuille de calcul de l'inventaire de la société montre que plus de 250 tonnes de crevettes testées positives aux antibiotiques sont arrivées en 2023 dans les installations de Choice Canning à Amalupuram. Il est difficile de déterminer exactement dans quelle quantité ces crevettes sont parvenues aux États-Unis mais des documents de l'entreprise semblent révéler des cas où les expéditions ont effectué le trajet dans son intégralité. L'analyse des données de la FDA indique que depuis 2023, l'agence a testé 21 fois les crevettes provenant de Choice Canning afin de détecter des traces d'antibiotiques mais n'a jamais décelé d'infraction. Au cours de cette même période, l'entreprise avait envoyé plus de 100 000 tonnes de crevettes aux États-Unis.
Farinella a expliqué que les formalités de traçabilité des crevettes provenant de fermes d'élevage certifiées et celles pour dépister la présence d'antibiotiques étaient parfois trompeuses. Le vice-président des ventes et de l’approvisionnement lui a demandé par exemple de ne pas utiliser le mot "antibiotiques" au sein des documents internes de l'entreprise. Le responsable lui avait écrit sur WhatsApp : "Merci d'utiliser le mot Oscar" pour se référer aux crevettes testées positives aux antibiotiques, et a ajouté "lol". L'entreprise a nié avoir expédié aux États-Unis la moindre crevette qui relevait des traces d'antibiotiques et a expliqué que cet échange et la signification d'Oscar ont été déformés par Farinella.
Farinella a déclaré que même s'il désapprouvait cette politique, il a fait ce qu'on lui demandait. « Presque 4,6 tonnes d'Oscar dans des emballages prêts à partir pour Wakefern. Que dois-je faire ? », a demandé Farinella dans un message WhatsApp adressé au vice-président Ventes le 1er février 2024. « Expédie-les dans un container », a répondu le responsable. Le produit est parti pour les États-Unis emballé dans des sacs sur lesquels étaient inscrits « 100% naturel ». Wakefern n'a pas répondu à nos demandes de précisions.
Sur le site de Choice Canning, de larges bâtiments en béton abritent des installations de transformation, des entrepôts, des congélateurs, des dortoirs, des équipements électriques et des bureaux. Des vêtements sont suspendus pour sécher sur des cordes tendues entre les bâtiments et les matelas sont disposés au soleil pour être aérés. À l'époque où il travaillait comme directeur d'usine, Farinella avait toute une série d'obligations : trouver des ouvriers et des approvisionnements de crevettes, gérer les finances et s'assurer que l'usine atteignait son quota de production mensuelle.
Au début, il avait du mal à savoir combien d'ouvriers vivaient sur le site, comment ils étaient logés et nourris et comment fonctionnaient leurs contrats. À un moment donné, il est tombé sur ce qu'il appelait un "dortoir caché", qui était situé au-dessus de compresseurs à l'ammoniac utilisés pour la réfrigération, mettant ainsi en danger les ouvriers en cas de fuite ou d'incendie.
Les directeurs de l'usine savaient que les conditions de vie des ouvriers avaient besoin d'être améliorées et ils en discutaient régulièrement sur WhatsApp et par mail afin de trouver des solutions à ces différents problèmes. Un jour, un responsable lui a envoyé par mail une photo de punaises de lit - suite à une infestation qui avait colonisé plus de 500 matelas. Farinella avait trouvé les ouvriers dormant à même le sol et qui utilisaient leur chemise comme oreiller. Il explique que lui et d'autres encore se battaient pour obtenir l'autorisation d'effectuer les changements nécessaires. "Nous avons immédiatement besoin de plus de lits superposés, ça ne peut pas attendre un jour de plus, s'il vous plait". Le vice-président des ressources humaines de l'usine a écrit un mail en colère. "Depuis des mois, les gens sur site se trouvent confrontés à des problèmes".
Quelques semaines plus tard, lors d'une conversation enregistrée avec un sous-traitant de Choice Canning, Farinella a découvert que 150 ouvrières n'avaient pas eu une seule journée de congé depuis un an. Deux employés avaient demandé si elles pouvaient être libérées pour une sortie.
Farinella a tout de suite donné son autorisation. Plus tard, il a déclaré qu'il s'est senti « les mains liées » et qu'on lui reprochait tout ce qui n'allait pas bien alors qu'on ne lui donnait pas la possibilité d'améliorer les choses.
Il racontait que c'était difficile aussi d'estimer le temps de travail des employés. Une responsable de ressources humaines a franchement admis, lors d'une réunion Zoom enregistrée par Farinella, qu'elle devrait ajuster les registres de présence et les cartes de pointage avant de se soumettre à un audit.
La législation de l'État d'Andra Pradesh stipule que les ouvriers doivent être rémunérés au moins 450 roupies (4,50 euros) par jour. Mais une facture établie par un sous-traitant ainsi qu'un échange de mails entre responsables semblent indiquer que certains ouvriers étaient rémunérés seulement 350 roupies (moins de 4 euros) par jour. L'entreprise a depuis déclaré qu'elle avait toujours payé le salaire minimum à tous ces "associés" et a même octroyé récemment une augmentation à certains employés.
"Je me sentais sale", a écrit Farinella plus tard. "Je ne voulais même pas regarder dans les yeux les ouvriers qui vivaient sur site ou les ouvriers de la région. J'étais dégouté et je me sentais honteux de tout. Je savais que les ouvriers ne pouvaient pas être d'accord avec tout ce qui se passait ici. Et je savais aussi que certains d'entre eux ont probablement pensé que j'étais en grande partie ou partiellement responsable du problème".
En décembre, Farinella a demandé à Jacob José si les ouvriers pouvaient être rémunérés au salaire minimum. Dans un échange d'e-mails avec des hauts responsables, JT s'est dit "choqué" que ce n'était pas encore le cas. Un des responsables a cependant rappelé à JT qu'il leur avait dit auparavant de ne faire "aucun changement à Amalapuram pour l'instant", en ce qui concernait les salaires. Dans des échanges de mails internes, les responsables de l'entreprise ont dit par la suite qu'ils envisageaient d'augmenter les salaires.
En janvier 2024, des inspecteurs d'Aldi Sud, une chaine mondiale de supermarchés, devait rendre visite à Amalapuram pour mener à bien un audit social et contrôler les conditions de travail au sein de l'usine. Alors que certains audits ne sont pas annoncés au préalable, l'audit d'Aldi Sud avait été planifié des mois à l'avance. (Aldi Sud a dit qu'il "prenait ces allégations au sérieux" et aurait besoin de plus de temps pour mener son enquête). Farinella a rencontré d'autres superviseurs pour parler des préparatifs et a enregistré la conversation. Les responsables se sont concentrés sur ce qu'ils devaient dire aux auditeurs en ce qui concerne la quantité d'ouvriers présents dans l'usine. Selon le rapport du Laboratoire sur la Responsabilité des Entreprises (Corporate Accountability Lab), le volume de la main d'œuvre est particulièrement important pendant les audits parce que les auditeurs veulent contrôler le nombre d'employés d'une installation et comparer avec les relevés de salaires, les lits disponibles et l'espace de travail au sein de l'usine afin de mettre en lumière d'éventuels problèmes relatifs aux sous-paiements et à la sécurité.
Les responsables avaient également envisagé de déplacer les ouvriers hors du site vers un local loué à proximité avant que les auditeurs n’arrivent. Les chercheurs en droit du travail affirment qu'il ne s'agit pas d'une pratique inhabituelle dans les relations avec les auditeurs. "Nous avons besoin de leur montrer un chiffre conséquent", dit l'employé chargé de l'assurance de la qualité lors d'une réunion enregistrée, tout en réfléchissant aux statistiques convaincantes qu'il pourrait présenter aux auditeurs. Finalement, les directeurs ont choisi le chiffre de 415, chiffre qui leur semblait plausible.
Quelques jours plus tard, lors d'une réunion enregistrée, Farinella a parlé de ce projet avec un autre directeur des ressources humaines.
– "En gros, nous les appellerons lorsque l'auditeur arrivera sur site, nous les appellerons et nous leur dirons « de partir et de faire autre chose pendant la journée », a-t-il déclaré.
– "Oui", a dit le responsable.
– "Mais comment diable avez-vous eu cette idée ?"
– "Monsieur, JT me met un couteau sous la gorge. Les idées viennent donc".
Peu après son arrivée, Farinella a découvert un autre problème : les hangars externes de décorticage de crevettes. L'un d'eux était situé à 35 minutes en voiture du site principal de production et l'autre à une heure et demie. Les certifications BAP et autres ont interdit le recours au décorticage dans des hangars externes car ils sont plus difficiles à règlementer. Le rapport du CAL dit que les "hangars de décorticage sont souvent cachés et rarement audités". Les deux hangars qu'utilise Choice Canning traitent entre 5 et 7 tonnes de crevettes par jour - environ la moitié de la quantité que la compagnie a expédiée aux États-Unis, selon Farinella et des dizaines de rapports quotidiens de production. (Depuis, l'entreprise a dit qu'aucune des crevettes traitées dans ces hangars était destinée à des clients exigeant la certification BAP (certification des meilleures pratiques d'aquaculture). Elle n'a pas précisé où ces crevettes étaient vendues).
Pendant cette période dans l'usine, Farinella a reçu un flot constant de messages de la part des hauts responsables. JT, le directeur général, semblait souvent furieux des lacunes en matière d'hygiène. « Fais-en sorte que ce bordel dans l'entrepôt frigorifique soit résolu le plus tôt possible", a-t-il écrit dans un message WhatsApp. "Celui qui a fait ça va souffrir toute sa vie !". Un jour, après avoir montré une photo du site en bon état, il a déclaré qu'il venait d'apprendre qu'une production d'une valeur de 74 000€ avait dû être jetée car des clients américains s'étaient plaints de l'odeur. "Comment puis-je croire à vos photos ?", a-t-il écrit dans un message WhatsApp adressé à son personnel sur site. Mais Farinella s'est également heurté à des obstacles lorsqu'il essayait d'apporter des améliorations. "Lorsque je disais à JT quels étaient les changements nécessaires que j'aimerais apporter, on me répondait carrément "non".
Farinella était également soumis à une pression constante parce qu'il ne générait pas suffisamment de recettes. Dans une réunion Zoom du 6 février 2024 entre Farinella et trois responsables, y compris JT, les directeurs ont exprimé leur mécontentement vis à vis de Farinella car il n'était pas suffisamment productif. Ils avaient utilisé ce que Farinella a décrit comme "la menace masquée de licenciement". "Je ne sais pas quels sont tes résultats pour le mois de janvier", a déclaré JT. "Tu devrais être plus inquiet que moi".
En janvier, Farinella a finalement décidé de révéler publiquement ce qu'il savait sur l'usine et a contacté un journaliste. "Je pense qu'il est probable que j'ai été engagé non pas pour gérer l'installation mais pour être le visage américain qui donne une apparence de légitimité", a-t-il déclaré. Puis il ajoute : pour une usine avec tant de problèmes, "je crains bien de ne pas pouvoir être ce visage".
Un vidéaste s'est rendu en Inde pour documenter les conditions de travail de l'usine. Farinella avait tellement les nerfs à fleur de peau que lorsqu'il vit la police armée près de son appartement, il a senti que son cœur était sur le point de "sortir" de sa poitrine. Il s'est avéré qu'il s'agissait d’une coïncidence.
Quelques jours plus tard, Farinella prit un vol de retour pour les États-Unis et a envoyé sa lettre de démission par mail depuis l'aéroport. Après avoir atterri en Pennsylvanie, il s'est arrêté dans un McDonald’s sur le chemin de l'aéroport vers chez lui. "Je n'aime même pas manger chez McDo", a dit Farinella. "Mais ce jour-là, j'ai mangé un super cheeseburger."
La pression commençait également à atteindre également les collègues de Farinella. Le 14 février 2024, un employé des ressources humaines de l'usine a contacté Farinella sur WhatsApp pour lui dire que lui aussi, avait démissionné de Choice Canning. Il racontait que les horaires de travail étaient en train de détruire son mariage et que les conflits avec les ouvriers locaux avaient ruiné sa réputation. Il avait même été menacé au téléphone. "Lorsque je rentrais chez moi en voiture", a-t-il écrit dans un message WhatsApp à Farinella, "il y avait certaines personnes du coin qui m'ont attaqué avec des pierres".
Farinella a pris un avocat aux États-Unis et a déposé une plainte auprès de la FDA et plusieurs autres agences fédérales. Il n'était pas certain de l'utilité d'une telle démarche mais il voulait laisser une trace publique de ce qu'il avait vu.
Le même jour, les auditeurs d'Aldi Sud sont arrivés à Amalapuram. Ils allaient mener les inspections que les directeurs locaux étaient en train de discuter depuis des semaines. Après la fin des audits pendant cette soirée, Farinella a contacté ses anciens collègues et leur a demandé comment ils s'en étaient sortis et s'ils avaient fait partir les ouvriers pendant l'audit. Deux des responsables ont confirmé qu'ils l'avaient effectivement fait. "Exactement Monsieur", a écrit l'un d'eux sur WhatsApp. "Tous les ouvriers ont étés envoyés à l'extérieur".
Ce travail a été réalisé en collaboration avec le Projet les Hors-la-loi de l’Océan (Outlaw Ocean Project) avec la contribution de Joe Galvin, Maya Martin, Susan Ryan, Jake Conley, Austin Brush et Daniel Murphy.
13 minutes 30 s.
Le choix de la rédaction :
VAKITA est fier d'être partenaire du journaliste d'investigation Ian Urbina, directeur de The Outlaw Ocean Project, une organisation de journalisme à but non lucratif qui enquête sur les crimes environnementaux et des droits de l'homme en mer.
Il y a quelques mois, Ian Urbina nous a choisi VAKITA pour diffuser en France sa série événement "La Jungle des Océans", une plongée dans les eaux troubles des eaux internationales où se croisent pêche illégale, mercenaires et défenseurs acharnés de l'environnement.
Aujourd'hui, nous avons l'honneur de diffuser sa nouvelle investigation sur les ravages de la pêche chinoise dans les océans. Au cours des dernières décennies, l'empire du Milieu s'est imposé comme une superpuissance mondiale des produits de la mer. Une transformation qui a un coût environnemental et humain terrible : pillage de ressources halieutiques, travail forcé, mort à bord des navires-usines...
Ce documentaire, diffusé gratuitement par VAKITA, s'accompagne d'un article fouillé et minutieux, signé par Ian Urbina, pour approfondir le sujet.
Le 29 octobre 2023, Joshua Farinella, un américain de 45 ans, s'est envolé vers Amalapuram, une ville proche de la côte orientale de l'Inde, pour assumer ses nouvelles fonctions de directeur général d'une usine de transformation de crevettes. Farinella, voix douce, crâne rasé, barbe proprement taillée, les bras recouverts de tatouages, était très excité à l'idée d'aller vivre pour la première fois à l'étranger.
Il savait bien qu'il s'agissait d'un poste qui impliquerait beaucoup de stress et que Christa, sa femme, allait lui manquer. Mais il avait négocié un salaire de 300 000 dollars à l'année, soit plus du double de ce qu'il gagnerait dans une autre société de transformation de fruits de mer aux États-Unis. D'ailleurs, il aimait plaisanter à ce sujet en disant qu'il était désormais le pêcheur de crevettes le mieux payé, sans qu'il soit propriétaire de sa propre entreprise. Il se disait que s'il tenait le coup pendant deux ou trois ans, il n'aurait plus à se soucier de rien : il se réjouissait à l'idée de moderniser son camping-car, de rembourser son crédit-auto et de mettre un peu d'argent de côté pour les études universitaires de sa belle-fille.
Entourée par un mur en béton de deux mètres de haut, l'usine se trouvait à environ 10 km au nord-est d'Amalapuram. Tout autour : des rizières et des cocotiers. Des gardiens de sécurité patrouillaient le périmètre, ce qui n'était pas rare pour ce genre d'installations. À l'intérieur se trouvait un complexe de 3,2 hectares où des crevettes, élevées dans des bassins situés à proximité, étaient étêtées, décortiquées, traitées avec des produits chimiques, ce qui permettait de les garder humides avant qu'elles ne soient expédiées à l'étranger. Rien qu'en 2023, l'usine, louée par une société appelée Choice Canning, a rempli les rayons surgelés des magasins tels que Walmart, Price Chopper, ShopRite et Hannaford, avec un peu plus de 8600 tonnes de paquets de crevettes.
Lorsqu'il est arrivé au travail, Farinella a été frappé par le nombre d'ouvriers qui affluaient par l'entrée principale. Ça lui faisait penser au terminal d'un aéroport, même si on avait l'impression qu'il y avait plus de personnes qui arrivaient que de personnes qui repartaient. Les jours suivants, il a commencé à réaliser combien de travail était nécessaire pour transformer les crevettes dans les quantités qui étaient exigées par la maison mère - un quota de 40 containers à expédier, soit plus de 600 tonnes chaque mois. Tous les jours, sans exception, plus de 650 ouvriers travaillaient à l'usine, généralement embauchés par des tiers sous-traitants.
Des centaines d'ouvriers vivaient dans la région de l'Andhra Pradesh et ils rentraient chez eux en fin de journée. Les autres étaient des ouvriers immigrés qui vivaient dans l'usine et constituaient le pilier de cette opération. L'usine fonctionnait jour et nuit, dans une course contre la montre contre la chaleur qui menaçait constamment d'altérer les produits. Les ouvriers immigrés étaient majoritairement des femmes, la plupart exclusivement recrutées dans les régions pauvres du pays, comme le Bengale Occidental. La plupart appartenait à la caste sociale la plus basse et étaient illettrées. Elles dormaient sur site dans des lits en métal superposés installés dans des dortoirs spartiates. Un gardien de sécurité était en général posté à l'extérieur, près de la porte principale du bâtiment.
Le 11 novembre 2023, à 3 heures du matin, Farinella a été réveillé dans son apartement, situé à quelques minutes de route de l'usine. Un responsable lui avait envoyé un message WhatsApp, pour l'informer qu'à 2h30 du matin, une femme a été retrouvée en train de courir près des installations de traitements des eaux de l'usine. "Elle cherchait un moyen pour s'évader", a écrit le responsable sur un ton neutre. "Son sous-traitant ne l'autorise pas à rentrer chez elle". (Plus tard, un autre responsable expliquera dans une conversation enregistrée que les ouvriers avaient l'habitude de s'échapper par le mur en béton mais que celui-ci avait été réparé de telle façon que plus personne ne pouvait sortir). La femme est parvenue à se rendre jusqu'à la porte principale, mais elle a été reconduite par les gardiens.
Interdire aux ouvriers de partir de leurs usines quand ils le souhaitent constitue une violation de la constitution indienne mais probablement aussi du code pénal du pays, selon le Laboratoire de Responsabilité des Entreprises (Corporate Accountability Lab), une association de défense et groupe de recherche. Dans une conversation enregistrée, un responsable avait expliqué à Farinella que certains employés de l'usine étaient autorisés à sortir deux fois par semaine pour faire leurs courses au supermarché. Farinella s'était dit qu'il n'y aurait pas dû y avoir de raison de faire une tentative de fuite au beau milieu de la nuit. En arrivant à l'usine quelques heures plus tard, il tenta d'obtenir des réponses pour comprendre ce qu’il s'était passé. Un responsable des ressources humaines lui a répondu qu'il s'agissait d'un malentendu. La femme n'avait finalement pas voulu s'enfuir. Mais une sonnette d'alarme a commencé à retentir dans l'esprit de Farinella.
Farinella travaillait dans le secteur de l'industrie alimentaire depuis 2015. Choice Canning fabriquait des repas surgelés dans sa ville natale, et l'avait embauché en 2015. En tant qu'agent d'assurance de la qualité, il était chargé de veiller au respect des règles de sécurité alimentaire. Il a ensuite travaillé pour Lund's Fisheries, une autre société de transformation des produits de mer, pour laquelle il vérifiait si la chaîne d'approvisionnement respectait la réglementation en vigueur. Puis en 2023, il est retourné travailler dans son ancienne entreprise. Il était habitué aux lacunes de comptabilité et aux failles dans les audits. Mais ce cas-là lui semblait bien plus grave. Farinella, qui a été éduqué par un vétéran de la guerre du Vietnam et une employée de la sécurité sociale dans une ancienne ville minière de Pennsylvanie, n'avait pas toujours filé droit dans sa jeunesse. Il avait vécu dans la rue pendant quelque temps et avait accumulé les condamnations pour conduite en état d'ivresse et tentative d'encaissement de chèques en bois. Depuis cette époque, il avait pris ses distances avec sa famille puis a cessé de parler à ses parents car ils désapprouvaient son mariage avec une femme noire.
Dans l'usine en Inde, il s'est retrouvé à dissimuler la surpopulation d'ouvriers sur le site en élaborant des stratagèmes pour cacher des ouvriers lorsque des inspecteurs venaient à se présenter. Il s'est mis à tromper les clients sur l'origine et la qualité des crevettes, y compris sur leur statut de certification ou l'origine de la ferme où elles avaient été élevées. Il a même raconté qu'il avait reçu l'ordre d'envoyer des crevettes avariées en Amérique. Il a ajouté que les directeurs qui travaillaient pour Choice Canning pouvaient se montrer désespérément évasifs. Mais parfois aussi, ils pouvaient être étonnamment honnêtes. Il a pu enregistrer en secret ses activités avec eux, a fait des captures d'écran et saisi des milliers de pages de documents.
"Pendant des années, je me suis battu à distance contre ça", a-t-il déclaré, se référant à l'époque où il avait travaillé dans la sécurité alimentaire et l'assurance qualité. "Puis, je me suis retrouvé au beau milieu de cette histoire. Pas seulement au beau milieu de tout ça, mais mon job consistait littéralement à faire en sorte que toutes ces choses pourries continuent à se produire".
En moyenne, les Américains mangent environ près de 3 kilos de crevettes par an, une quantité qui a doublé en une génération. En 2001, les crustacés, qui étaient alors considérés comme un met fin, coûtaient environ 11 euros pour 500 grammes, au moment où les prix moyens avaient atteint leur paroxysme. Depuis, les restaurants et les supermarchés ont commencé à se ravitailler à l'étranger et ont fait plonger les prix. Aujourd'hui, certains restaurants spécialisés en crustacés proposent des offres de "crevettes à volonté" pour 23 euros.
En 2015, les coûts cachés des crevettes bon marché ont été révélés au grand jour. Des reporters ont découvert que des immigrés birmans étaient victimes de la traite d'êtres humains. La plupart était des femmes, détenues dans des conditions proches de l'esclavage dans des hangars de décorticage de crevettes en Thaïlande, un pays qui pendant ces 10 dernières années fut le fournisseur préféré des grands supermarchés occidentaux. Certaines de ces sociétés d'alimentation ont coupé les liens avec la Thaïlande et les importations de Thaïlande se sont mises à chuter.
L'Inde a comblé le vide grâce à l'aide de son gouvernement, qui a fourni des aides et assoupli les lois limitant les investissements étrangers. En 2021, l'Inde exportait dans le monde pour plus de 4,5 milliards d’euros de crevettes, et représentait près d'un quart des exportations mondiales de crevettes. Environ une crevette sur trois consommée par des Américains était originaire d'Inde.
Choice Canning est l'un des fournisseurs indiens les plus importants du marché de la crevette. Il possède des bureaux dans deux grandes villes indiennes, Kochi et Chennai ainsi que dans la ville de New Jersey City, N.J. En 2023, Choice Canning a expédié pour plus de 74 millions d’euros de crevettes vers les États-Unis.
En novembre 2022, la société a annoncé qu'elle serait la première entreprise indienne à devenir membre de l'Alliance mondiale pour les produits de la mer (Global Seafood Alliance - GSA), un organisme du secteur qui encourage les pratiques responsables en matière de production des produits de la mer. Choice Canning a cherché à obtenir des certifications émis par l'instrument de contrôle de l'Alliance, la norme de certification des meilleures pratiques d'aquaculture (Best Aquaculture Practices - BAP), qui certifie chaque étape de la ligne de production des fournisseurs des produits de la mer. Le site d'Amalapuram porte le sceau de l'approbation BAP. Choice Canning a déclaré que les fermes d'élevage de crevettes qu'ils utilisent le portent également. Sur présentation de notre enquête, l'Alliance mondiale pour les produits de la mer a déclaré qu'elle prenait l'affaire très au sérieux et qu'elle allait mener des recherches pour voir si elle trouvait des preuves d'infractions.
Farinella s'est dit très troublé lorsqu'il a constaté que les tests effectués par l'usine pour détecter la présence d'antibiotiques se révélaient plus souvent positifs que ce qu'il avait cru. Aux USA, l'Agence américaine des Aliments et des Médicaments (Food and Drugs Administration - FDA) a interdit l'utilisation des produits pharmaceutiques dans les crevettes. La FDA n'a pas répondu à nos demandes d'interview.
La plupart des crevettes produites en Inde sont élevées dans des petites fermes d'aquaculture. Le Laboratoire sur la Responsabilité des Entreprises (Corporate Accountability Lab), une association de défense, a publié dans un rapport ce mois-ci que de nombreuses fermes utilisaient des antibiotiques pour protéger les crevettes des agents pathogènes.
« Si presque tout ce que nous emballons est conforme à la certification BAP et que les fermes où elles sont élevées le sont aussi, alors comment se fait-il que des antibiotiques continuent d'être détectés ? », a écrit Farinella dans un message WhatsApp adressé à un haut responsable de l'assurance qualité de la société.
Le haut responsable chargé de l'assurance de la qualité a répondu « Nous n'achetons jamais des crevettes provenant de fermes certifiées BAP ». « Toutes sont des fermes d'élevage locales et non certifiées ». Sur le ton de la plaisanterie, le responsable a dit à Farinella « Vous imaginez un peu le niveau de compétences bureaucratiques exigées pour faire croire le contraire », tout en ajoutant un smiley.
Farinella a demandé depuis combien de temps cela se pratiquait. "Ce fut toujours le cas", a écrit le responsable. "L'Inde ne possède même pas 10% de la capacité d'élevage certifiée BAP qu'elle revendique. C'est triste, mais c'est la réalité !".
Le rapport du Laboratoire sur la Responsabilité des Entreprises (Corporate Accountability Lab) lui donne raison quant à l'ampleur du problème. Le rapport explique que l'industrie de la crevette en Inde est en proie à des violations en termes de droits humains, de l'environnement et de la sécurité, y compris les cas de travail forcé et que les audits sur les bonnes pratiques de l'aquaculture (BAP) et ceux réalisés par d'autres organisations similaires comportent des lacunes.
Choice Canning a engagé la société SGS (Société générale de surveillance) pour mener à bien des audits quotidiens en interne afin de mieux contrôler les conditions d'hygiène. Ces audits ont souvent fait état de problèmes sanitaires tels que l'odeur de pourriture, les mouches, la bave, la boue, le manque de glace, les réfrigérateurs cassés, les machines contaminées par des algues et des champignons, les poils et les tâches noires sur les crevettes ainsi qu'une cuillère pleine de tabac à chiquer retrouvée sur le sol de l'usine. Chaque année, les auditeurs de la même société SGS ont réalisé un audit public dans lequel l'usine avait obtenu un certificat sanitaire vierge (SGS a déclaré qu'ils ne pouvaient pas partager les résultats de leurs audits pour des raisons de confidentialité mais qu'ils ont été menés à bien sur la base des conditions négociées avec leur client). "Expédiez-les", disait le message WhatsApp.
C'était étonnant même pour les standards auxquels Farinella s'était habitués à Amalapuram. Son patron Jacob José, le vice-président des ventes et de l'approvisionnement de la société et Jose Thomas, le fils du PDG, alias JT, venaient juste d'être informés que 225 caisses de crevettes crues destinées aux supermarchés Aldi Sud aux États-Unis avaient été testées positives aux antibiotiques.
L'utilisation généralisée des antibiotiques dans l'agriculture provoque dans le monde entier une augmentation de la résistance aux médicaments nécessaires pour traiter toutes sortes d'infections. En 2019, les Centres pour le Contrôle et la Prévention des Maladies (Centers for Disease Control and Prevention), une agence fédérale américaine, ont affirmé que près de trois millions d'infections résistantes aux antibiotiques ont lieu chaque année aux États-Unis, provoquant la mort de dizaines de milliers de personnes.
Alors que la FDA interdit l'importation des crevettes traitées aux antibiotiques, l'agence inspecte seulement environ 1% des crevettes importées. En comparaison, l'Union Européenne contrôle 50% de ses crevettes importées d'Inde. D'après les chercheurs, les chances sont donc faibles qu'un lot de crevettes contaminées provenant de Choice Canning ou d'autres sociétés soit stoppé. Une feuille de calcul de l'inventaire de la société montre que plus de 250 tonnes de crevettes testées positives aux antibiotiques sont arrivées en 2023 dans les installations de Choice Canning à Amalupuram. Il est difficile de déterminer exactement dans quelle quantité ces crevettes sont parvenues aux États-Unis mais des documents de l'entreprise semblent révéler des cas où les expéditions ont effectué le trajet dans son intégralité. L'analyse des données de la FDA indique que depuis 2023, l'agence a testé 21 fois les crevettes provenant de Choice Canning afin de détecter des traces d'antibiotiques mais n'a jamais décelé d'infraction. Au cours de cette même période, l'entreprise avait envoyé plus de 100 000 tonnes de crevettes aux États-Unis.
Farinella a expliqué que les formalités de traçabilité des crevettes provenant de fermes d'élevage certifiées et celles pour dépister la présence d'antibiotiques étaient parfois trompeuses. Le vice-président des ventes et de l’approvisionnement lui a demandé par exemple de ne pas utiliser le mot "antibiotiques" au sein des documents internes de l'entreprise. Le responsable lui avait écrit sur WhatsApp : "Merci d'utiliser le mot Oscar" pour se référer aux crevettes testées positives aux antibiotiques, et a ajouté "lol". L'entreprise a nié avoir expédié aux États-Unis la moindre crevette qui relevait des traces d'antibiotiques et a expliqué que cet échange et la signification d'Oscar ont été déformés par Farinella.
Farinella a déclaré que même s'il désapprouvait cette politique, il a fait ce qu'on lui demandait. « Presque 4,6 tonnes d'Oscar dans des emballages prêts à partir pour Wakefern. Que dois-je faire ? », a demandé Farinella dans un message WhatsApp adressé au vice-président Ventes le 1er février 2024. « Expédie-les dans un container », a répondu le responsable. Le produit est parti pour les États-Unis emballé dans des sacs sur lesquels étaient inscrits « 100% naturel ». Wakefern n'a pas répondu à nos demandes de précisions.
Sur le site de Choice Canning, de larges bâtiments en béton abritent des installations de transformation, des entrepôts, des congélateurs, des dortoirs, des équipements électriques et des bureaux. Des vêtements sont suspendus pour sécher sur des cordes tendues entre les bâtiments et les matelas sont disposés au soleil pour être aérés. À l'époque où il travaillait comme directeur d'usine, Farinella avait toute une série d'obligations : trouver des ouvriers et des approvisionnements de crevettes, gérer les finances et s'assurer que l'usine atteignait son quota de production mensuelle.
Au début, il avait du mal à savoir combien d'ouvriers vivaient sur le site, comment ils étaient logés et nourris et comment fonctionnaient leurs contrats. À un moment donné, il est tombé sur ce qu'il appelait un "dortoir caché", qui était situé au-dessus de compresseurs à l'ammoniac utilisés pour la réfrigération, mettant ainsi en danger les ouvriers en cas de fuite ou d'incendie.
Les directeurs de l'usine savaient que les conditions de vie des ouvriers avaient besoin d'être améliorées et ils en discutaient régulièrement sur WhatsApp et par mail afin de trouver des solutions à ces différents problèmes. Un jour, un responsable lui a envoyé par mail une photo de punaises de lit - suite à une infestation qui avait colonisé plus de 500 matelas. Farinella avait trouvé les ouvriers dormant à même le sol et qui utilisaient leur chemise comme oreiller. Il explique que lui et d'autres encore se battaient pour obtenir l'autorisation d'effectuer les changements nécessaires. "Nous avons immédiatement besoin de plus de lits superposés, ça ne peut pas attendre un jour de plus, s'il vous plait". Le vice-président des ressources humaines de l'usine a écrit un mail en colère. "Depuis des mois, les gens sur site se trouvent confrontés à des problèmes".
Quelques semaines plus tard, lors d'une conversation enregistrée avec un sous-traitant de Choice Canning, Farinella a découvert que 150 ouvrières n'avaient pas eu une seule journée de congé depuis un an. Deux employés avaient demandé si elles pouvaient être libérées pour une sortie.
Farinella a tout de suite donné son autorisation. Plus tard, il a déclaré qu'il s'est senti « les mains liées » et qu'on lui reprochait tout ce qui n'allait pas bien alors qu'on ne lui donnait pas la possibilité d'améliorer les choses.
Il racontait que c'était difficile aussi d'estimer le temps de travail des employés. Une responsable de ressources humaines a franchement admis, lors d'une réunion Zoom enregistrée par Farinella, qu'elle devrait ajuster les registres de présence et les cartes de pointage avant de se soumettre à un audit.
La législation de l'État d'Andra Pradesh stipule que les ouvriers doivent être rémunérés au moins 450 roupies (4,50 euros) par jour. Mais une facture établie par un sous-traitant ainsi qu'un échange de mails entre responsables semblent indiquer que certains ouvriers étaient rémunérés seulement 350 roupies (moins de 4 euros) par jour. L'entreprise a depuis déclaré qu'elle avait toujours payé le salaire minimum à tous ces "associés" et a même octroyé récemment une augmentation à certains employés.
"Je me sentais sale", a écrit Farinella plus tard. "Je ne voulais même pas regarder dans les yeux les ouvriers qui vivaient sur site ou les ouvriers de la région. J'étais dégouté et je me sentais honteux de tout. Je savais que les ouvriers ne pouvaient pas être d'accord avec tout ce qui se passait ici. Et je savais aussi que certains d'entre eux ont probablement pensé que j'étais en grande partie ou partiellement responsable du problème".
En décembre, Farinella a demandé à Jacob José si les ouvriers pouvaient être rémunérés au salaire minimum. Dans un échange d'e-mails avec des hauts responsables, JT s'est dit "choqué" que ce n'était pas encore le cas. Un des responsables a cependant rappelé à JT qu'il leur avait dit auparavant de ne faire "aucun changement à Amalapuram pour l'instant", en ce qui concernait les salaires. Dans des échanges de mails internes, les responsables de l'entreprise ont dit par la suite qu'ils envisageaient d'augmenter les salaires.
En janvier 2024, des inspecteurs d'Aldi Sud, une chaine mondiale de supermarchés, devait rendre visite à Amalapuram pour mener à bien un audit social et contrôler les conditions de travail au sein de l'usine. Alors que certains audits ne sont pas annoncés au préalable, l'audit d'Aldi Sud avait été planifié des mois à l'avance. (Aldi Sud a dit qu'il "prenait ces allégations au sérieux" et aurait besoin de plus de temps pour mener son enquête). Farinella a rencontré d'autres superviseurs pour parler des préparatifs et a enregistré la conversation. Les responsables se sont concentrés sur ce qu'ils devaient dire aux auditeurs en ce qui concerne la quantité d'ouvriers présents dans l'usine. Selon le rapport du Laboratoire sur la Responsabilité des Entreprises (Corporate Accountability Lab), le volume de la main d'œuvre est particulièrement important pendant les audits parce que les auditeurs veulent contrôler le nombre d'employés d'une installation et comparer avec les relevés de salaires, les lits disponibles et l'espace de travail au sein de l'usine afin de mettre en lumière d'éventuels problèmes relatifs aux sous-paiements et à la sécurité.
Les responsables avaient également envisagé de déplacer les ouvriers hors du site vers un local loué à proximité avant que les auditeurs n’arrivent. Les chercheurs en droit du travail affirment qu'il ne s'agit pas d'une pratique inhabituelle dans les relations avec les auditeurs. "Nous avons besoin de leur montrer un chiffre conséquent", dit l'employé chargé de l'assurance de la qualité lors d'une réunion enregistrée, tout en réfléchissant aux statistiques convaincantes qu'il pourrait présenter aux auditeurs. Finalement, les directeurs ont choisi le chiffre de 415, chiffre qui leur semblait plausible.
Quelques jours plus tard, lors d'une réunion enregistrée, Farinella a parlé de ce projet avec un autre directeur des ressources humaines.
– "En gros, nous les appellerons lorsque l'auditeur arrivera sur site, nous les appellerons et nous leur dirons « de partir et de faire autre chose pendant la journée », a-t-il déclaré.
– "Oui", a dit le responsable.
– "Mais comment diable avez-vous eu cette idée ?"
– "Monsieur, JT me met un couteau sous la gorge. Les idées viennent donc".
Peu après son arrivée, Farinella a découvert un autre problème : les hangars externes de décorticage de crevettes. L'un d'eux était situé à 35 minutes en voiture du site principal de production et l'autre à une heure et demie. Les certifications BAP et autres ont interdit le recours au décorticage dans des hangars externes car ils sont plus difficiles à règlementer. Le rapport du CAL dit que les "hangars de décorticage sont souvent cachés et rarement audités". Les deux hangars qu'utilise Choice Canning traitent entre 5 et 7 tonnes de crevettes par jour - environ la moitié de la quantité que la compagnie a expédiée aux États-Unis, selon Farinella et des dizaines de rapports quotidiens de production. (Depuis, l'entreprise a dit qu'aucune des crevettes traitées dans ces hangars était destinée à des clients exigeant la certification BAP (certification des meilleures pratiques d'aquaculture). Elle n'a pas précisé où ces crevettes étaient vendues).
Pendant cette période dans l'usine, Farinella a reçu un flot constant de messages de la part des hauts responsables. JT, le directeur général, semblait souvent furieux des lacunes en matière d'hygiène. « Fais-en sorte que ce bordel dans l'entrepôt frigorifique soit résolu le plus tôt possible", a-t-il écrit dans un message WhatsApp. "Celui qui a fait ça va souffrir toute sa vie !". Un jour, après avoir montré une photo du site en bon état, il a déclaré qu'il venait d'apprendre qu'une production d'une valeur de 74 000€ avait dû être jetée car des clients américains s'étaient plaints de l'odeur. "Comment puis-je croire à vos photos ?", a-t-il écrit dans un message WhatsApp adressé à son personnel sur site. Mais Farinella s'est également heurté à des obstacles lorsqu'il essayait d'apporter des améliorations. "Lorsque je disais à JT quels étaient les changements nécessaires que j'aimerais apporter, on me répondait carrément "non".
Farinella était également soumis à une pression constante parce qu'il ne générait pas suffisamment de recettes. Dans une réunion Zoom du 6 février 2024 entre Farinella et trois responsables, y compris JT, les directeurs ont exprimé leur mécontentement vis à vis de Farinella car il n'était pas suffisamment productif. Ils avaient utilisé ce que Farinella a décrit comme "la menace masquée de licenciement". "Je ne sais pas quels sont tes résultats pour le mois de janvier", a déclaré JT. "Tu devrais être plus inquiet que moi".
En janvier, Farinella a finalement décidé de révéler publiquement ce qu'il savait sur l'usine et a contacté un journaliste. "Je pense qu'il est probable que j'ai été engagé non pas pour gérer l'installation mais pour être le visage américain qui donne une apparence de légitimité", a-t-il déclaré. Puis il ajoute : pour une usine avec tant de problèmes, "je crains bien de ne pas pouvoir être ce visage".
Un vidéaste s'est rendu en Inde pour documenter les conditions de travail de l'usine. Farinella avait tellement les nerfs à fleur de peau que lorsqu'il vit la police armée près de son appartement, il a senti que son cœur était sur le point de "sortir" de sa poitrine. Il s'est avéré qu'il s'agissait d’une coïncidence.
Quelques jours plus tard, Farinella prit un vol de retour pour les États-Unis et a envoyé sa lettre de démission par mail depuis l'aéroport. Après avoir atterri en Pennsylvanie, il s'est arrêté dans un McDonald’s sur le chemin de l'aéroport vers chez lui. "Je n'aime même pas manger chez McDo", a dit Farinella. "Mais ce jour-là, j'ai mangé un super cheeseburger."
La pression commençait également à atteindre également les collègues de Farinella. Le 14 février 2024, un employé des ressources humaines de l'usine a contacté Farinella sur WhatsApp pour lui dire que lui aussi, avait démissionné de Choice Canning. Il racontait que les horaires de travail étaient en train de détruire son mariage et que les conflits avec les ouvriers locaux avaient ruiné sa réputation. Il avait même été menacé au téléphone. "Lorsque je rentrais chez moi en voiture", a-t-il écrit dans un message WhatsApp à Farinella, "il y avait certaines personnes du coin qui m'ont attaqué avec des pierres".
Farinella a pris un avocat aux États-Unis et a déposé une plainte auprès de la FDA et plusieurs autres agences fédérales. Il n'était pas certain de l'utilité d'une telle démarche mais il voulait laisser une trace publique de ce qu'il avait vu.
Le même jour, les auditeurs d'Aldi Sud sont arrivés à Amalapuram. Ils allaient mener les inspections que les directeurs locaux étaient en train de discuter depuis des semaines. Après la fin des audits pendant cette soirée, Farinella a contacté ses anciens collègues et leur a demandé comment ils s'en étaient sortis et s'ils avaient fait partir les ouvriers pendant l'audit. Deux des responsables ont confirmé qu'ils l'avaient effectivement fait. "Exactement Monsieur", a écrit l'un d'eux sur WhatsApp. "Tous les ouvriers ont étés envoyés à l'extérieur".
Ce travail a été réalisé en collaboration avec le Projet les Hors-la-loi de l’Océan (Outlaw Ocean Project) avec la contribution de Joe Galvin, Maya Martin, Susan Ryan, Jake Conley, Austin Brush et Daniel Murphy.